Émission sur le Hip-hop, des champs de coton aux ghettos de New York. Mixcloud : https://www.mixcloud.com/manu-makak/stream/
dimanche 11 septembre 2016
Hommage à Pumpkinhead et Sean P. pour International Hip Hop Magazine #3
Sombre saison à New York. Pour le
Hip-hop célébré dans ces pages, pour tous ceux et toutes celles
qui l'aiment et qu'il a fait grandir. En mai dernier mourait
Pumpkinhead, rebaptisé « PH » depuis quelques années,
activiste forcené de la scène battle
et open mic. En août,
c'est Sean Price qui se faisait la belle, dans son sommeil. Tous deux
natifs de Brooklyn, issus de la même génération, vingt piges de
rap dans les pattes ; tous deux respectés par leurs pairs pour
leur habileté au mic, leur passion à toute épreuve, leur
générosité, leur drôlerie. Deux représentants d'une époque dont
ils continuaient à porter haut les couleurs : celle des MC's,
ceux qui rappent comme ils respirent, de la rime plein les veines,
sans cesse en quête de l'ultime punchline, en défi permanent avec
les autres kickeurs. Implacables au mic, adorables hors du ring. Être
le meilleur, pas pour l'argent mais pour la gloire. Rapper parce
qu'on aime ça et qu'on est bon.
Pumpkinhead –
du nom d'un méchant de série Z des 80's – n'était pas
très connu par chez nous. Mais dans le New York hip-hop c'était une
figure, toujours là quand il y avait compet'. Même après avoir
connu un certain succès, il était resté fidèle au poste, écumant
les battles. C'était son terrain, c'était là qu'il
excellait. Immortal Technique, militant hip-hop s'il en est, le
croisait souvent dans l’underground, et a écrit de lui après sa
mort que « c'était le genre de type qui freestyle dans la rue
pendant des heures, qui enchaîne 20 rounds de phases sans pitié,
toujours avec quelques skeuds à fourguer... ». À
l'ancienne. Les disques en question n'ont pas toujours été à la
hauteur de sa réputation, ce qui n'est hélas pas rare pour les
freestylers, même les plus grands.
Vite repéré par Stretch et Bobbito,
le rappeur latino avait sorti son premier maxi « Dynamic »
en 1997. Un début plus que prometteur, qui avait reçu les grâces
des prescripteurs Beat Junkies, lesquels avaient placé la version
remix dans le volume 2 de leur fameuse série «World famous». Sur
cette version apparaît d'ailleurs pour la première fois Jean Grae,
qui lui doit aussi son blase, suggéré un soir où ils partageaient
une scène. La rappeuse lui avait rendu la pareille un peu plus tard
en l'invitant sur son EP « The Bootleg of the Bootleg ».
Immortal Technique l'avait quant à lui convié sur ses deux premiers
volumes de « Revolutionnary », notamment sur
l'inoubliable « Peruvian Cocaine ».
Mais il faut en réalité attendre 2005
pour qu'un premier album le révèle vraiment à nos oreilles :
l'excellent « Orange Moon on Brooklyn », entièrement
produit par un Marco Polo « débutant » mais très en
forme, et dont la carrière doit beaucoup à cette exposition. Il se
montrait à la hauteur et nous balançait du boom-bap de qualité,
simple mais salement efficace, qui offrait une aire de jeu idéale à
Pumpkinhead pour nous montrer ce qu'il avait dans le bide. Rien de
révolutionnaire dans ce disque, des samples, des interludes en forme
de sketchs, du scratch, et de la technique vocale. Déjà un goût un
peu suranné, les deux pieds ancrés dans une époque qui s'éloignait
doucement, comme en témoignait un symptomatique interlude en mode
beatbox. Mais l'agilité de Pumpkinhead sauvait l'affaire.
C'était du bon Hip-hop, honnête, patateux, parfois même
brise-nuque, qui célébrait les valeurs originelles. Il y avait même
des grands morceaux, l'épique « Trifactor », le virtuose
« Swordfish », la profession de foi « Emcee »,
le revanchard « Here ». Un manque de nuances toutefois,
qu'on retrouverait dans les disques suivants. Pumpkinhead rappait
droit, rappait dur, rappait battle, ce qui se révélait
lassant sur la longueur quand les prods ne parvenaient pas à
relancer l'intérêt. Une voix assez banale, souvent poussée, une
manière sobre, un rap qui braillait invariablement sa supériorité
sur 90 BPM.
Mais ceux qui ont eu la chance de le
voir officier en live, débitant ses dozens à la face de
l'adversaire comme si sa vie en dépendait –
ou qui du moins ont goûté aux quelques témoignages vidéos
de ses combats – le
savent bien : il était le Hip-hop, celui qui a disparu des
radars médiatiques, celui des coins de rue et des caves, là où le
temps s'occupe en rimant, là où le négatif se transmute en positif
selon l'alchimie chère à Bambaata. Un vétéran comme on dit, un
rescapé, respecté mais mis de côté, un emcee dont les
sorties se faisaient de plus en plus confidentielles mais qui
continuait d'incarner la beauté d'une culture qui a élevé
tellement de gosses à travers le monde.
Sean Price, s'il officiait dans
l'underground comme PH, a bénéficié d'une plus grande
reconnaissance. Il continuait à être suivi par la communauté
hip-hop, et pas seulement par la frange nostalgique du fameux « âge
d'or ». Il avait su se renouveler, tout en restant fidèle à
l'art de la rime, sneakers vissées dans le bitume des rues de
Brownsville qui l'avaient vu grandir, ambiance « je suis né à
deux kilomètres d'où je traîne ». Pendant toute une période,
il a même représenté avec son équipe Boot Camp Click l'essence du
rap New-yorkais. Sombre et ludique, agressif mais souvent drôle,
pratiqué avec sérieux mais sans s'y croire, porté par une équipe
de super-héros aux personnalités bien trempées.
Ruck, comme il se faisait appeler dans
ce lointain milieu des années 1990, forme avec son poto Rock le duo
Heltah Skeltah. Ils apparaissent pour la première fois sur trois
titres du légendaire album « Dah Shinin' » de Smiff &
Wessun sorti en 1995, puis multiplient les collaborations remarquées
avant de sortir un premier long format en 1996, le chef d’œuvre
indémodable « Nocturnal ». Réécouter ce disque
aujourd'hui colle le frisson. On pénètre un monde d'une cohérence
sidérante, tout en tension contenue, une marche de nuit sans lune
dans une ville hostile. Basses enveloppantes, breakbeats rugueux,
samples étirés, jazz en embuscade. Une ambiance poisseuse, parfois
menaçante, dans laquelle se promènent deux MC's en communion malgré
leurs styles presque opposés. Mais c'est Sean Price qui déjà
impressionne, avec cette prononciation chuintante qui fut sa marque
de fabrique à ses débuts, ce timbre sépulcral, ce flow chantant et
traînard, entre menace et ironie. Comme s'il s'amusait à faire
peur. « Nocturnal » est un enchaînement de classiques
comme seules ces années pouvaient nous en offrir. Des refrains
imparables, des couplets en forme de démonstration de force, des
voix enchevêtrées en parfaite harmonie. Dalle et inventivité, de
grandes chances que l'écurie Time Bomb en France doive beaucoup aux
disques de ces précurseurs. Inutile de citer les titres marquants,
ils le sont presque tous. Que celui qui n'a pas chanté en yaourt
l'immense « Leflaur Leflah » nous jette la première
canette.
Après d'impeccables participations aux
projets de leur clique, les deux compères pondent un deuxième album
moins conséquent, et finissent par se séparer. Sean P. lui-même
prend quelques temps ses distances avec le rap, avant de revenir en
solo au milieu des années 2000. Il multiplie mixtapes et featurings,
mais sort surtout un nouveau classique en 2005, dix ans après son
premier essai : le monumental « Monkey Barz ». Un
éclat de rire planqué derrière sa voix d'ogre, il y creuse encore
son personnage de comics, multiplie les alias improbables, d'Hulk à
King Kong en passant par le croquemitaine Solomon Grundy. Un monstre
gentil, qui te chatouille ou t'étripe de la même grosse patte. Avec
le temps, sa voix s'est faite plus rocailleuse, son phrasé moins
souple, comme s'il était passé des arts martiaux à la boxe. Pas
pour rien qu'il appellera son troisième album Mic Tyson, comme s'il
prenait la punchline au pied de la lettre. Il frappe lourd, ne
fait pas dans la dentelle, mais son écriture à double sens et rimes
multiples rattrape aisément son débit un peu pataud. Sean P. écrase
des rythmiques massives façon Godzilla, et ce premier essai solo
laisse l'auditeur groggy mais ravi, au bord d'en redemander.
Enchaînant les titres énormes au sens propre, du soulful « Onion
Head » – sans
doute son plus grand succès –
au sauvage « Boom Bye Yeah », Price semble à l'aise sur
n'importe quelle prod, qu'il plie pépère, sans forcer, tout en
puissance à la cool. Les deux albums suivants sont très bons eux
aussi, bien qu'un peu en dessous, la faute à un son déjà daté.
Ils offrent tout de même quelques beaux moments de bravoure :
auto-célébration, grosses vannes, références permanentes à nos
sous-cultures, Sean P. a toujours l'air de se faire plaise, et c'est
souvent contagieux. L'excursion « Random Axe », avec les
compères de Detroit Black Milk et Guilty Simpson –
eux-aussi défenseurs d'un rap d'antan –
l'était encore plus, grâce à la production d'un Black Milk
inspiré. On ne s'est toujours pas remis de la bombe « The
Hex », une avalanche de rimes furieuses sur un beat martial à
base de rock ralenti.
Celui qui s'était surnommé lui-même
« the brokest rapper you know » (le rappeur le plus
fauché que tu connaisses) ne cherchait pas à plaire. Jamais dans la
tendance, à suivre inlassablement la même direction, il était
volontiers amer sur ce qu'était devenu un rap qui s'était
débarrassé de l'esprit hip-hop, un rap qui se préoccupait plus de
swagg et de ventes que de pure performance. Price restait donc
fidèle à son écurie de toujours Duck down, et continuait à
pratiquer son art loin des modes abêtissantes. Pas de cloud
ceci ou de trap cela chez P. Les rues de NYC, une feuille, un
beat, des rimes riches et des skillz.
Pas de fioritures, pas
d'effets de voix synthétiques : juste arracher le mic, en
toutes circonstances.
La tape sortie peu de temps après sa
mort enfonce encore le clou. Price préparait un nouvel album, et en
avait profité pour enregistrer une multitude de couplets sur les
instrus qui traînaient, parfois même des face B hyper cramées. Si
l'on se méfie un peu de ces objets posthumes et de la déférence
obligatoire qui les entoure, le résultat s'avère pourtant jouissif.
Une vraie tape à l'ancienne, comme on n'en fait plus ou presque,
mixée du début à la fin, cuttée, scratchée, enchaînée avec
classe par un DJ inspiré. Trente « titres » très
courts, un seul couplet même parfois, quasiment pas de refrains, des
featurings familiaux : là où un Joey Badass nous avait agacé
avec sa nostalgie juvénile, l'old
timer Price sonne frais au contraire, et nous rappelle toute la
puissance du rap sans fard, capable de traverser les époques avec le
kif de la belle rime pour unique moteur. La tête remue malgré elle
tout au long du voyage, et on croise même de vraies pépites, comme
le cradingue « Metal Beard » avec Vic Spencer, le génial
« Barbituates » et son instru synthétique et lancinante,
le quasi doo wop « Bobby Mc Barz » et ses sons à
la bouche... Une belle occasion de se rappeler ce que ce grand et
gros bonhomme apportait encore à l'édifice. Sa voix rauque, ses
calembours, ses clips déjantés, ses rimes improbables... mais
surtout sa maîtrise tranquille du rap tout-terrain risquent de
salement manquer au peuple hip-hop.
« Yesh Yesh Yo », rest in
P. !