mercredi 23 avril 2014

Episode 6 : "I' got the blues"


Quand l’esclavage est officiellement aboli en 1865, les anciens esclaves sont contraints de louer leur force de travail dans les mêmes plantations ou sur les pharaoniques chantiers de construction : la digue du Mississippi, les voies de chemin de fer, les routes. Errance, misère, et la prison ou la mort qui menace à chaque coin de rue, avec les lois de ségrégation (le fameux système Jim Crow, du nom d’un personnage de minstrel show, ces spectacles dans lesquels des Blancs se grimaient au charbon pour singer le mode de vie des Noirs) qui très vite après cette illusoire abolition se mettent en place dans le Sud pour que les Noirs restent à la seule place que leur concèdent les Blancs suprémacistes : moins que des chiens.

Une des seules choses que gagnent les Noirs avec l’émancipation, ce n’est pas la liberté ; seulement quelques heures de « loisirs » dans la semaine. Ils découvrent aussi la solitude, la guerre de tous contre tous pour essayer de gagner misérablement de quoi survivre. C’est de ça que va naître le Blues : quand tu as les mains libres et que plus personne n’est là pour t’accompagner, tu te saisis d’un instrument pour t’accompagner, celui du maître, la guitare. C’est elle qui va faire le contre-chant typique des musiques africaines américaines, la réponse à l’appel que tu lances au collectif dans les champs, en prison ou à l’Église. Le Blues va devenir la musique de ces hommes seuls qui vont de plantation en plantation, de chantier en camps de travail. La musique de ceux que Dieu a abandonné, et qui le répudient, la musique du diable. Une musique qui tire son nom d’une sensation, faite d’abandon, de fatalité, de désespoir, et qu’on chante pour tenter de s’en défaire.

Une musique d’exil aussi, qui accompagne la fuite vers les villes du Nord, où on espère trouver la terre promise des spirituals, dans la vie sur Terre. Une musique de désillusion. Des champs de coton aux ghettos, mais toujours « no place to go »..

L'émission : BCK MIR 6 "Got the Blues"
La playlist : BCK MIR 6 Blues



Quelques vidéos :











mardi 15 avril 2014

Episode 5 : " We 'got soul ! "




Dans les premiers temps de l’esclavage, les Noirs étaient considérés comme comme de simples outils de travail, comme du bétail dépourvu d’âme, ce qui justifiait moralement la condition qui leur était faite. Toute pratique religieuse leur était interdite, la leur et celle du maître.

Les choses se mirent à changer au 18ème siècle, avec les deux vagues d’évangélisation qu’on appela le « Grand réveil ». Des évangélistes venus du Nord convertirent massivement les esclaves au protestantisme, d’abord contre la volonté des maîtres. Mais en ces temps où les révoltes d’esclaves se faisaient de plus en plus menaçantes, ils y virent vite leur intérêt : la religion semblait apaiser le cheptel humain dont ils disposaient. La promesse d’un monde meilleur, la perspective d’une justice divine dans l’au delà semblait le rendre plus docile. On ouvrit des Eglises Noires, on y plaça des pasteurs Noirs, venus du Nord ou affranchis, qui formèrent ensuite la première classe moyenne Noire. On retourna aussi la justification morale de l’esclavage : si on réduisait ainsi des hommes et des femmes à cette condition, c’était au nom de la mission divine de l’homme blanc, qui devait amener ces sauvages vers Dieu. Mais ce que n’avaient pas prévu les maîtres, c’est que ces lieux de culte réservés aux Noirs devinrent aussi des lieux de rencontre, de réunion, parfois même de conspiration. On pouvait se retrouver entre frères et sœurs, loin du regard de l’homme blanc.

Dans ces églises naquit une nouvelle forme musicale, qui était une version Noire des psaumes : les « spirituals ». Rythmés par les claquement de main et de pieds, battis sur le modèle de la « question/réponse » né dans les champs, conçus pour mener à la transe, on pouvait y mettre toute sa douleur, sa révolte et son espérance. En s’adressant à Dieu, on pouvait exorciser sa peine. Mais parfois, l’espoir se faisait plus terrestre. De nombreux spirituals possèdent un double sens, et on peut y lire des appels masqués à l’évasion, au soulèvement, la croyance que justice sera peut être faite sur cette Terre, dans cette vie.

Plus tard, c’est le mariage impie entre cette musique divine et le blues, musique du diable, qui va donner naissance à la « soul music », littéralement la « musique de l’âme ». Belle ironie : c’est d’un peuple prétendument sans âme que va naître la musique de l’âme par excellence.

L'émission : BCK MIR 5
La playlist : BCK MIR 5 PLAYLIST


lundi 7 avril 2014

EPISODE 4 : " Ma musique est née dans un champs de coton "



Le Hip-hop n’est pas né en 1979 avec « The Message » de Grandmaster Flash. Il n’est pas né non plus en 1973 avec la première Block Party de DJ Kool Herc. Pas plus qu’avec la grande coupure de courant de juillet 1977 à New York qui a permis à tant de crews de s’équiper. Le Hip-hop est le dernier avatar d’une longue série de musiques issues du ghetto, qui puisent leur force et leur beauté de l’exploitation, de la souffrance, et surtout de la résistance aux conditions sociales qui sont faites au peuple Noir depuis les bateaux de la déportation. Les différentes formes qu’a pris la musique africaine américaine depuis les origines ont toujours été une réponse aux formes spécifiques de l’exploitation à travers le temps. 

Dans ce premier épisode, on remonte aux origines : les champs de coton, et ce qui s’y chantait pour accompagner le labeur. Les « work songs », chants de travail rythmés par le battement des outils et les soupirs de l’effort. C’est la bande son de l’esclavage, où l’on entend déjà la sève de ce qui suivra, le rythme lancinant, le système des questions-réponses, la douleur contenue sous des textes inoffensifs en apparence – le maître ayant interdit les chants mélancoliques.

L'émission : BCK MIR 4
La playlist : BCK MIR 4 PLAYLIST




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