jeudi 23 octobre 2014

S02 EP07 : Time to rocksteady !


Les espoirs de l’indépendance jamaïcaine, dont le ska fut la bande son, ont vite été déçus. Le chômage se fait endémique, le nouveau pouvoir en place baigne dans la corruption, la misère ronge le ghetto, et avec elle la violence et la criminalité s’installent durablement. Les rude-boys, petites frappes des bidonvilles, vont peu à peu être instrumentalisés par les partis politiques, qui fonctionnent comme des gangs et règnent par la force sur leurs territoires d’ancrage.

Dans les sound-systems, on se lasse vite du ska. Cette musique trop rapide et joyeuse ne colle plus à la détresse du ghetto ; les vieux ne peuvent pas suivre le rythme pour toute une soirée ; les rude-boys ont tendance à régler leurs comptes dans ces fêtes de rue, et le mélange de rhum, de bière forte et de son tonitruant n’arrange rien à l’affaire. Pour couronner le tout, l’été 1966 bat tous les records de chaleur. Il faut calmer le jeu. Les musiciens de studio, qui fournissent la matière première aux selectors vont inventer une nouvelle formule . On ralentit le tempo. On éloigne les cuivres. La basse prend une place prépondérante, et se fait mélodique. La snare se décale sur le troisième temps. La disparition du R’N’B américain dans les sound-systems a créé une frustration, un besoin de soul music : on libère donc de l’espace dans le son pour y placer des voix, dont beaucoup de trios vocaux, sur le modèle du Doo-wop américain.

Une nouvelle musique était née, qui portera le nom d’une danse pratiquée par une des stars des dancefloors de Kingston, immortalisée par Alton Ellis dans le morceau « Time To Rocksteady » sorti en 1966. Les années qui vont suivre offrent un nombre incalculable d’immenses chansons gorgées de soul, et des voix sublimes se révèlent. Pour beaucoup, c’est l’âge d’or du son jamaïcain, emblématique des rude-boys, celui qui inondera l’Angleterre peu après : dans les quartiers de relégation londoniens se mêlent immigrés jamaïcains et prolétaires blancs. Dans les sound-systems importés, ils vont inventer ensemble la culture Skinhead : le fameux « Spirit of 69 », populaire, festif, antiraciste.



L'émission : BCK MIR S02 EP07


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